28

 

Lorsque Semourê pénétra dans la salle où l’on avait amené Outi, il savait déjà à quoi s’en tenir. Une esclave avait surpris le directeur des boulangers alors qu’il versait un produit inconnu dans les pains aromatisés au miel et aux fruits destinés à la table royale. Le manège l’avait intriguée. Elle en avait saisi toute la signification quand elle avait appris la tentative de meurtre sur la personne de l’Horus. Elle s’était alors spontanément présentée à un capitaine de la Garde bleue.

Le bourreau royal, un énorme bonhomme aux yeux vides d’expression, se tenait près du siège sur lequel il avait entravé le condamné. Les bras croisés, il attendait les ordres. Ses mains d’étrangleur semblaient capables de broyer tout ce qu’elles touchaient. Semourê fixa longuement le prisonnier qui le toisait avec insolence.

— Je sais que tu es coupable, attaqua-t-il immédiatement.

— Puisque tu en es si sûr, pourquoi m’interroges-tu ?

— Je veux que tu me donnes le nom de tes complices.

— Quels complices ?

— Je sais que tu n’as pas agi seul. Qui t’a fourni ce poison ?

Le boulanger émit un ricanement.

— Un chasseur nubien. Mais il ignorait l’usage que je voulais en faire.

— Pourquoi voulais-tu tuer l’Horus ?

— Parce que je le hais. J’étais le boulanger de son oncle, le dieu bon Nekoufer.

— L’usurpateur Nekoufer ! rectifia sèchement Semourê. Le roi Sanakht avait désigné son frère Djoser pour lui succéder.

Outi se mit à hurler.

— C’est faux ! Nekoufer n’était pas un usurpateur. Il était bien plus digne de régner que Djoser.

— Il s’est emparé illégalement du trône.

— Il était mon roi. Lorsque Djoser l’a tué, j’ai juré de le venger.

— Et tu as attendu tout ce temps ? riposta brusquement Semourê. Cela fait plus de deux ans que Nekoufer est mort.

Outi accusa le coup. Il grogna :

— Je suis patient J’ai attendu le moment propice.

Semourê explosa :

— Et moi, je suis sûr que tu mens. Tu n’as pas agi seul, et tu te moques bien de Nekoufer. Qui cherches-tu à protéger ? Parle !

— Je t’interdis de douter de mon dévouement envers lui, s’emporta le boulanger.

Semourê le frappa brutalement ; les lèvres du prisonnier éclatèrent sous le choc.

— Cela fait la troisième fois que l’on tente de tuer le roi et la reine. Tu vas peut-être me dire que tu es à l’origine des autres attentats ?

Crachant du sang, Outi éructa :

— Que les affrits te bouffent les tripes !

Un violent coup de courbash s’abattit sur son dos.

Semourê détestait pratiquer ce genre d’interrogatoire. Mais il devait en apprendre plus et il n’avait aucune pitié pour l’homme qui avait tenté de tuer son roi. Il était persuadé que le boulanger mentait pour défendre le véritable instigateur du complot. Malheureusement, son raisonnement n’était fondé que sur l’intuition.

Pendant plusieurs heures, les coups s’abattirent sur le boulanger, appliqués sans état d’âme par le bourreau royal. Sans cesse, Semourê réitérait sa question. Aux questions, le prisonnier répondait par l’arrogance et les insultes. Il savait qu’il n’avait plus rien à perdre. La prédiction de l’esclave amorrhéen le hantait. La mort l’attendait. Malgré la douleur, le sang qui coulait de sa bouche, les doigts écrasés, il ne démordit pas de sa version : il avait été le maître des boulangers de Nekoufer, qu’il vénérait. Djoser l’avait tué, et il voulait le venger.

 

Las et écœuré, Semourê adopta une autre tactique. Il ordonna au bourreau de priver le prisonnier de nourriture, d’eau et de sommeil. Des gardiens se relayeraient pour le réveiller à chaque fois qu’il s’assoupirait.

Au soir du deuxième jour, Outi n’était plus qu’une ombre aux yeux rougis. Il finit par craquer.

— De l’eau ! De l’eau ! Je te dirai le nom de celui qui m’a convaincu de tuer Djoser.

Semourê ordonna à un garde d’apporter un gobelet. Il l’emplit d’eau et le déversa lentement devant les lèvres du supplicié, qui lui adressa un regard de haine et de désespoir.

— Donne-moi son nom, et je remplis de nouveau le gobelet.

Outi hésita, puis souffla :

— Mekherâ ! C’est Mekherâ !

Semourê marqua un instant de surprise, puis le gifla à toute volée.

— Tu te moques de moi !

L’autre insista :

— C’est lui ! Il veut la mort de l’Horus… À boire !

Semourê fit un signe au bourreau qui remplit le gobelet pour le prisonnier. Le chef de la Garde royale serra les dents. Il n’avait guère de sympathie pour le trop sévère Mekherâ. Mais il l’avait toujours tenu pour un homme intègre, dont l’attitude durant l’imposture de Nekoufer avait été digne d’éloges. Il s’était ouvertement opposé à l’oncle de Djoser, malgré les promesses de l’usurpateur d’établir le culte de Seth comme culte principal du Double-Royaume. L’ambitieux personnage lui déplaisait souverainement.

Si Mekherâ avait toujours manifesté clairement son opposition aux idées du roi, il l’avait toujours respecté. Semourê avait peine à croire à sa culpabilité. Décidé cependant à éclaircir l’affaire, il envoya une escouade de gardes bleus au temple de Seth.

— Nous ne pouvons arrêter un grand prêtre sans l’accord de l’Horus, dit-il au capitaine de l’escouade. Il est donc hors de question de l’amener ici s’il s’y oppose. Tu lui diras seulement que je souhaite le voir pour une affaire de la plus haute importance concernant le dernier attentat contre le roi.

— Bien, Seigneur !

Les soldats quittèrent la Maison des gardes. Demeuré seul, Semourê fit le point de la situation. Si Mekherâ refusait de venir, il y avait de grandes chances pour qu’il fût mêlé au complot. S’il venait sans faire de difficulté, cela ne l’innocentait pas pour autant. Mais on ne disposait d’aucune preuve contre lui, sinon l’accusation d’un prisonnier habité par une haine démentielle et un fanatisme forcené. Il n’était pas exclu qu’il ait joué la comédie afin de détourner les soupçons. Semourê en était persuadé.

La nuit était tombée lorsque les gardes bleus amenèrent le grand prêtre. Recru de fatigue, Semourê attaqua directement :

— Mekherâ, après deux jours de privations, le prisonnier Outi a parlé : il t’accuse d’être à l’origine d’un complot visant à éliminer le roi. Qu’as-tu à répondre à cela ?

Le grand prêtre blêmit, puis chancela. Un garde lui avança un siège, sur lequel il se laissa tomber.

— Je n’ai rien à répondre, Semourê. Tout cela est faux. Je me suis souvent opposé au roi, mais de là à seulement imaginer de le tuer… C’est absurde.

— Le boulanger a résisté longtemps avant de te dénoncer.

— Il ment ! Penses-tu que j’aurais accepté de venir si j’avais quoi que ce soit à me reprocher ?

— C’est un moyen de détourner les soupçons.

— Il ne t’est pas venu à l’esprit qu’il cherchait à protéger quelqu’un d’autre, le véritable auteur du complot ?

— J’y ai pensé. Mais je veux te confronter à lui.

— Je suis prêt.

 

Quelques instants plus tard, Semourê et Mekherâ pénétraient dans la salle des interrogatoires. Par mesure de sécurité, Outi avait été enfermé dans un cachot situé au fond de la salle. Le bourreau se dirigea vers lui pour en extraire le prisonnier. Soudain, ouvrant la porte, il poussa un cri. Semourê se précipita, pour découvrir le cadavre du boulanger. Son visage gonflé avait viré au bleu, tandis que les yeux lui sortaient des orbites. D’horribles griffures lacéraient sa gorge et son torse.

— On l’a tué ! hurla Semourê.

— Non, Seigneur ! rectifia le bourreau d’une voix blême. Il s’est suicidé en avalant sa langue.

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